Depuis la crise du coronavirus, les conditions de travail de tout le personnel hospitalier se sont trouvées modifiées : certains services transformés en unités COVID, changements d’affectation, de collègues, transformations drastiques des règles d’hygiène, absences de visites pour nos patients de plus en plus déprimés et qu’il nous faut soutenir.
J’ai ainsi vu ma charge de travail s’alourdir sensiblement par la prise en charge de certains patients atteints du coronavirus, dont l’état plus stable permettait d’envisager, heureusement pour eux, d’autres perspectives. J’ai ainsi été appelée auprès de ces patients afin de faire des bilans de déglutition dans le but de reprendre une alimentation normale, mais aussi de bilans et rééducations de langage auprès de ces mêmes patients dont certains étaient aphasiques. Et me voilà ainsi, vêtue de ma fragile armure de papier, auprès de cette humanité souffrante … Je suis néanmoins consciente d’être privilégiée, par rapport à mes collègues de réanimation notamment, douloureusement confrontés à la mort quotidienne.
Au début de la crise, la peur était omniprésente : peur de contracter une forme sévère de la maladie, de la transmettre à d’autres patients et à ma famille, peur d’omettre une étape dans les procédures de déshabillage notamment, peur de « craquer » nerveusement … Cette peur, je l’ai déposée, au pied de la croix de Jésus, tel un lourd fardeau, porté sur un dos meurtri. J’ai demandé au Seigneur une parole qui me libèrerait des griffes de le peur et sur laquelle je pourrais m’appuyer. Je l’ai trouvée dans les psaumes, notamment dans le psaume 57 :
« Pitié pour moi, ô Dieu, pitié pour moi
En toi s’abrite mon âme
A l’ombre de tes ailes, je m’abrite
Que soit passé ce fléau ».
J’ai aussi très clairement demandé au Seigneur, si toutefois, je devais contracter la maladie, qu’il me fasse la grâce d’une forme bénigne et qu’il épargne ma famille. La boule au ventre qui m’étreignait jusqu’alors, s’est estompée pour laisser la place à une réelle vitalité et à la joie retrouvée de soigner.
Sortir de mon service, dans lequel j’ai mes repères et mes habitudes, m’a permis de rencontrer d’autres soignants que je ne connaissais pas ou que je ne connaissais que de vue et de travailler avec eux-, dans une ambiance et une solidarité qui à elles seules valent l’effort fourni.
Les nombreuses marques d’affection et de reconnaissance de la population (applaudissements de 20 heures, œufs de Pâques offerts, pizzas distribuées, …), les mots réconfortants quasi-quotidiens de notre directeur général, Martin Hirsch, sont précieux et m’aident sincèrement dans ma modeste mission.
Reste toutefois à vivre, la permanence d’un décalage avec sa famille, sagement confinée, en quête d’un rythme de travail et de loisir équilibré, et le mien, celui d’une soignante en proie à l’intensité émotionnelle d’une rude journée de travail et dont la maison reste le seul havre de paix ressourçant.
J’essaie de répondre à ce décalage par les trajets maison-hôpital, à pied. Les trente-cinq minutes de marche offrent alors une parenthèse, un sas, qui permet d’évacuer le trop-plein émotionnel de la journée, dans l’exercice physique. C’est aussi en ce mois d’Avril, un temps extraordinaire de contemplation de la nature qui se réveille de sa torpeur hivernale. C’est ainsi que j’ai été l’heureux témoin, la semaine dernière d’une parade nuptiale, bien matinale, de geais des chênes. Simplement merveilleux !
Dominique GARNIER